Le Bois

Un jeune homme à la fière allure, sortait d’un pas pressé, de sous les bois ombragés entourant les charmantes habitations négligemment regroupées devant lui. Il semblait fuir quelques fantômes imaginaires, à voir son visage constamment souligné d’expressions ridicules et parcouru d'étonnants tics aux soubresauts indomptés.

Sans doute que la désagréable moiteur abandonnée par les nombreuses orages des derniers jours, en devenaient la cause… Car dans l’antre étouffant de la forêt touffue, il avait mis du temps à se perdre, à se chercher, pour finalement se retrouver, enfin libéré des sales moustiques, de la boue vaseuse, de la rivière et des ses ruisseaux tortueux débordant de leur lit, inondant au alentour de grands espaces, leur donnant l’aspect d’une incontournable tourbière marécageuse.

Fort heureux de goûter finalement, aux chauds rayons du soleil qui envahissait à cette heure matinale la large clairière conduisant aux portes du village de Turbino, il entreprit de faire sécher ses piètres rades d’aspects plus que bizarres. Sur un gros rocher solitaire, il jeta ses guenilles. Sur le roc déjà tiède à souhait, il s’adossa le temps nécessaire, pour qu’il retrouve enfin un moment de détente depuis longtemps perdue. Il s’imagina alors des vêtements un peu plus présentables ou du moins davantage confortables.

Nylarad, car tel on l’appelait, s’avançait maintenant en chantant joyeusement sur le chemin de gravier parsemé, attifé dans des vêtements aux couleurs criardes.

Arrête-toi au carrefour des hameaux
et tends fébrilement l’oreille…

Ce cri déchirant la nuit
pourrait bien être celui de ton esprit,
en proie à de terribles douleurs…

Et dans ce cauchemar
que sera alors devenue ta vie,
saches que je serai toujours derrière toi,
fidèle troubadour ;
telle une ombre mouvante
annonçant avec désinvolture,
l’heure où le glas sonnera ta mort prochaine…

Suivre tes traces me sera aisé ;
car j’en ai fait le serment, un soir de pleine lune…

Et si vous vous détournez sur mon passage ;
sachez que je suis le voleur au cœur perfide…

Arrêtez-vous alors aux faubourgs animés,
à l’heure des palabres envoûtants ;
là où le troubadour au regard profond,
attifé d’un cœur volage chantera,
ses vers en des envolées passionnées…

Le jeune Troubadour marchait allègrement vers la forêt toute proche. L’air frais lui faisait un grand bien. Tout en respirant profondément, il laissait ses pensées divaguées là où elles le désiraient…

Après quelques instants, le chant harmonieux des oiseaux colorés l’apaisa rapidement. Le calme visant rempli de la richesse animal avait toujours raison de lui… Il se calmait ainsi plus rapidement…

Il se mit à siffloter en essayant d’imiter les cris des volatiles sauvages, ce qui l’amusait particulièrement…

Après un bon bout de temps, il se lassa cependant et se mit à observer la flore qui s’épanouissait sous le couvert des nombreuses variétés d’arbres. Certaines essences florales étaient en cette saison déjà en pleine floraison. Leurs magnifiques pétales aux couleurs chatoyantes se découpaient agréablement sur le fond vert nuancé des feuilles de différentes sortes d’arbustes. Elles contrastaient dans cet environnement particulier…

Il observa alors quelques libellules et abeilles qui s’aventuraient à l’intérieur des coroles, d’où s’étiraient de fragiles pistils. Les fines pattes poilues y déposaient bien malgré elles, une fine couche de pollen qu’elles avaient sans le savoir dérobées à d’autres fleurs. Ainsi, se remémora-t-il, se produit la reproduction de ces beautés… Il songea alors à la belle et jolie serveuse de la Taverne, et la présence humaine lui manqua tout-à-coup...

Un petit ruisseau laissait son eau chanter sur de beaux petits galets, formant une cascade enjouée. Il s’y dirigea au son que le liquide produisait et bientôt il longea la rive sinueuse où poussait une variété étonnante d’herbes aquatiques mêlée à des roseaux déjà dont les tiges jaunis s’ébrouaient au soleil ombrageux des sous-bois… Dans sa petite enfance, on lui avait appris à les nommer Quenouille… Une longue tige creuse en son centre se terminait par une tête allongée, à la texture pelucheuse aux beaux reflets bruns rougeâtre. Cette dernière s’effilochait l’automne venue en de fins filaments cotonneux qui s’envolaient légèrement sous les ardeurs du vent qui se levait parfois en rafales puissantes à cette saison. Une roche plate, assez large lui servit de couche, où il se laissa emporter dans un léger sommeil de fin d’après-midi…

Il se réveilla en sursaut quelques temps plus tard… En sueur, le sang qui lui bourdonnait douloureusement aux tempes. Il avait encore une fois fait son fameux cauchemar… Il ne comprenait pas pourquoi ce dernier revenait sans cesse depuis quelques temps le troubler…

Toujours le même, toujours aussi troublant et désagréable… Il se revoyait petit enfant devant le gisant de son arrière-arrière grand-père. Pleurant de tout son soul, car il était la seule véritable présence réconfortante qu’il avait eu dans sa petite enfance… Et tout-à-coup, un monstrueux personnage aux yeux cruels couleur rubis poussait la pierre, sortait le haut de son corps de la tombe. Une odeur pestilentielle et nauséabonde se dégageait alors, rendant l’air irrespirable… Il lançait des cris de détresse et des pleurs incontrôlables. Et sans qu’il ne puisse réagir, la main aux doigts crochus et froids s’avançait vers sa gorge, essayant de l’étouffer en la ramenant vers l’intérieur du caveau entrouvert… C’est finalement avec des efforts presque surhumains qu’il parvenait à se déprendre de ce piège mortel… et qu’il se réveillait en sursaut, croyant qu’à chaque fois, elle finirait par vraiment l’emporter dans l’antre de l’oubli…

Cette fois-ci cependant, alors qu’il était encore assis sur sa pierre plate, un soleil jaune de bonté chauffant sa peau cuivrée, tandis qu’il se sentait plus rassuré, il fit le lien avec les yeux de l’exécrable Elfe aux yeux de sang… Encore ce maudit Elfe songea Nylarad, ressentant fortement la colère lui monter au nez…

Son front se plissa sous ses pensées de haine et il se dit qu’il ferait bien mieux d’oublier ce personnage ignoble…

Il en avait assez de sa courte marche en forêt. Il décida donc de repartir vers le village, tentant de se calmer du mieux qu’il put…

En route, il se mit à chanter des ritournelles de son cru… Cela le calmerait certainement plus rapidement, essaya-t-il de se convaincre…